Je pris la direction d'une auberge avec mon nouveau cheval tenu en main. Il se nommait Flair et d'après le vendeur, c'était un courageux étalon bien dressé et qui savait annoncer l'approche d'un ennemi en grattant le sol de ses sabots.
Une fois arrivée à l'auberge, je confia Flair au garçon d'écurie et entra. L'ambiance qui y régnait était douce et chaleureuse. Chacun discutaient ou riaient tranquillement en groupe. Puis mon regar s'attarda sur un gros groupe d'hommes, de femmes et même d'enfants assis en arc de cercle devant un guerrier de grand chemin.
Ce qu'il racontait semblait captiver intensément la foule et je décida de me joindre à eux.
- " Malgré leur tempérament sauvage et peu commode, dit le guerrier d'un air fier et impétueux, avec une chope de bière à le main, les dragons sont attirés par les femelles des hommes, notamment les jeunes vierges et les jolies princesses. A la condition qu'une de ces pucelles leur soit livrée à date fixe – généralement une fois par an -, les dragons acceptent de conclure avec les hommes un pacte de neutralité, en évitant de dévorer les troupeaux et de mettre à sac la région, comme ils en ont le pouvoir et l'appétit.
Le choix de la victime se porte en priorité sur la plus jeune et la plus belle fille du roi de la contrée – car telle est l'exigence du dragon. La pauvre enfant est exposée, nue, liée par les chevilles et les poignets à un poteau, afin qu'elle ne puisse s'enfuir. C'est là que, à la nuit tombée, vient la rejoindre le terrible monstre.
La plupart des récits affirment que les dragons dévorent leurs proies féminines. Mais il est permis d'imaginer les prémices perverses auxquelles s'adonnent les horribles monstres avant de croquer la chair tendre de la jeune effarouchée. Il semble bien que cette coutume se réfère à de très anciens rituels de hiérogamie, par lesquels une vierge doit être périodiquement sacrifiée à une divinité redoutable, afin que son peuple s'en concilie les faveurs. En échange de ces mariages monstrueux, les dragons tout-puissants accordent à la communauté des hommes leur protection contre les fléaux et les intempéries et leur fécondité pour les moissons ou la reproduction des bêtes.
Cette symbolique archétypale s'est conservée dans la fête chrétienne des rogations, dont l'origine remonte à notre époque. Cette fête traditionnelle, destinée à assurer la fertilité des récoltes, consiste en une procession populaire accompagnant un dragon d'osier couvert de fleurs, de guirlandes et de rubans colorés, la gueule largement ouverte et la queue fouettant l'air autour de lui, à la grande joie des villageois qui lui jettent au passage du pain et des fruits.
Isidore de Séville (vers 530 – 636) insiste en effet dans son « Etymologiae » sur la force résidant dans la queue du dragon : « Il a une crête, une petite gueule et d'étroits conduits par lesquels il respire et sort sa langue. Sa force réside non dans ses dents, mais dans sa queue, et c'est moins sa gueule que ses coups qui sont nuisibles. Il nait en Éthiopie et dans l'Inde en pleine fournaise d'une chaleur torride ininterrompue. »
Marie-France Gueusquin souligne le caractère sexuel de cette particularité anatomique, venant à l'appui des rituels païens de fécondité : « Les textes liturgiques de notre époque ont bien mis en valeur que la puissance du dragon réside, non dans son dard venimeux mais dans sa queue. Il est précisé que, lors des deux premiers jours, le dragon mène fièrement le cortège, la queue dressée et enflée; le troisième jour, il suit, soumis et honteux, à l'arrière, la queue basse et dégonflée. Or, dans la symbolique médiévale, les deux premiers jours signifient les deux époques où règne le diable-dragon, le dernier jour étant celle où le Christ a triomphé. » " Alors écoutez jeunes gens, pour faire plus simple suivez ceci: laissez les dragons tranquille et les femmes dans le lit! Ha! Ha!
Le guerrier partit dans les délires devenus superficiels. Les femmes se hâtèrent d'emmener leur enfants au lit pour couvrir leur oreilles encore chaste et les hommes riaient de bon cœur.
Pour ma part, je quitta le groupe et alla me coucher. Il fallait me lever tôt demain matin et je tenait à partir en même temps que l'aube. Je me coucha dans mon lit et m'endormis tranquillement.